Aussi
choqué ai-je pu être à cette tuerie chez Charlie Hebdo, il n'y a
pas d'autres mots, j'aime toujours autant les gens. Je venais
pourtant de vivre un moment difficile personnel aussi, mais rien n'y
fait, mon cerveau n'en eut rien à foutre : j'aime les gens.
D'hier, on retiendra surtout les décès, et c'est normal. Mais en
position deux, voici ce que l'on doit avoir en tête :
J'ai
vu des gens s'engager, aller dans la rue, des personnes qui donnaient
l'impression de s'en contrefoutre, d'anciens potes laxistes, des
trolls qui crachaient sur le Charlie. Je pensais que nous, les
dessinateurs, étions vu comme les 10 tontons foireux du coin de
table, à faire leurs blagues salaces à la grande lassitude des
autres, les canards noirs de la famille. Forcé de constater que nous
sommes un peu plus de 10, et que nos blagues ont un écho. J'ai vu
des illustrateurs faire des hommages, d'autres qui ne savaient pas
dessiner citer Charlin Chaplin dans le Dictateur,
Banksy, ou Louis CK et son T-Shirt gribouillé. Une
place de la République à Paris rempli d'anonymes et de célébrités
dans le même bouillon, enlevant la sacro-sainte distance que l'ont
met parfois à tort entre les deux. Ça, pour moi, c'est être
humain, alors oui, j'aime les gens.
Demain, trois tocards
iront crier qu'ils l'auront bien mérité, et trois autres tocards
leur répondront avec la même violence, au flingue, à la bombe, à
la perceuse, Qu'on s'entende, ces gens sortent de leurs rôles
d'humains. Ils n'ont en fait que le poids qu'on leur donne : l'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse, ne dit-on pas ?
Pour moi les humains c'est cette dame qui crie
« si vous n'avez pas de pancartes, levez vos stylos, c'était leur
arme à eux » , c'est qu'une douzaine de morts à Paris fassent
pleurer à New York ou Barcelone, c'est ce couple qui me tend un
mouchoir quand je pleure dans le métro le cœur brisé par telles ou
telles affres sentimentales, ce vieil homme à l'air sévère qui me
prend en stop jusqu'à ma rue, c'est des avatars noirs sur les
réseaux sociaux, c'est des visages contre la peur ; c'est ce
grand black qui me sourit dans le métro parce qu'on joue au même
jeu sur nos téléphones, des amoureux ados, des boulangers qui disent bonjour comme personne, les 3 maghrébins qui rigolent fort au PMU en bas de chez moi, le bar lesbien ou je traine sans que mon sexe masculin soit un problème, ma voisine qui me prête du sel, les deux filles que je gardais et qui continue à vouloir me voir pour discuter, les gens qui m'envoient de gentils e-mails quand je dessine un truc triste sur internet... Liste non exhaustive. L'on appelle à ne pas faire
d’amalgame, à rester digne. Ces gens sont plus nombreux que ceux
qui tirent et tuent. L'arbre, la forêt, tout ça.
Certain(e)s
dont la grandeur de leur cynisme n'a d'égale que la petitesse de
leur intelligence, veulent « offrir » à la France un
référendum sur la peine de mort. Je pense qu'on peut s'offrir le
droit de regarder les villes se remplir de gens indignés, et devant
la foule se dire que non, on ne déteste pas ces gens. Là, on
s'offrira vraiment un moment un peu cool je crois. Un moment où, notre supériorité numérique de gens qui ne tuent pas à la moindre contradiction éclatera de toute son évidence, ça
ne sera plus la honte d'être humain.
Ce
constat fait, tout ira bien dans le meilleur des mondes.
S.